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Sur YouTube, les coachs sportifs ont beaucoup d’abonnés mais pas toujours de diplôme

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Publié le 13 juillet 2017 à 15h21, modifié le 16 juillet 2017 à 06h30

Temps de Lecture 7 min.

« Salut les filles et les garçons, on se retrouve aujourd’hui pour la dernière séance du Bikini avec Sissy. Ça va être une séance full body, avec pas mal de cardio. Après, on va faire pas mal de renforcement musculaire. Et puis, on terminera par un peu de yoga. Allez, c’est parti, ça va, vous êtes prêts ? » Face à la caméra, et dans son décor de carte postale, Sissy Mua affiche un sourire imperturbable. Corde à sauter en main, elle montre à ses abonnés les exercices à réaliser, un par un. Multiplie les encouragements, de plus en plus essoufflée. « Ça commence à chauffer, on respire, on souffle, on tient, allez ! On ne lâche rien ! »

Des chiffres et des muscles

Cette séance filmée de trente minutes a été visionnée 216 000 fois. Un bon score, mais Sissy a déjà fait mieux. Sa vidéo « défis », réalisée avec son ami Tibo In Shape, a par exemple atteint les 4 397 630 vues. Tibo est lui aussi un youtubeur spécialisé dans le fitness et la musculation.

En France, parmi ceux qui ont percé dans ce domaine, il y a Tibo et Sissy, donc, mais aussi Bodytime, un duo de copains (très) musclés, Georgia Horackova, qui mêlait sport et bien-être, ou encore Marine Leleu, qui filme ses marathons en live. A eux cinq, ils comptabilisent 6 millions d’abonnés et près d’un milliard de vues. Et s’ils sont encore peu nombreux, c’est aussi parce que leur popularité est récente.

C’est en effet en 2015 que leurs productions ont commencé à rencontrer un franc succès, dépassant le cercle des grands adeptes du muscle pour aller toucher Monsieur et Madame Tout-le-Monde. Une catégorie à laquelle Sissy appartenait elle-même, il y a encore quelques années…

Des tutoriels maquillage aux séances de musculation

Pour elle, tout a commencé lors d’un voyage au Brésil. Dans le cadre de ses études, l’ancienne ingénieure en agroalimentaire y était partie effectuer un stage. « J’ai découvert un pays très contrasté, avec beaucoup de gens qui se laissaient aller, mais aussi beaucoup de gens qui font du sport… vraiment à fond. Là-bas, il y a une véritable culture du fitness, y compris chez les femmes… Leurs formes sont valorisées, on n’est pas dans la privation, ni les régimes à outrance, comme on peut le voir ailleurs. Je trouvais leur mode de vie vraiment sympa, d’autant plus que je me suis rendu compte que j’avais une morphologie un peu similaire à la leur, et que donc je pouvais suivre leur exemple », se souvient Sissy.

Après quelques premières séances improvisées avec les moyens du bord dans sa chambre, la youtubeuse devient vite accro. Et cette nouvelle passion, c’est tout naturellement qu’elle décide de la partager sur sa chaîne YouTube, qu’elle avait créée pour poster des tutoriels maquillage. « Au départ, c’était juste comme ça, pour parler d’un truc que j’aimais faire, ça n’avait pas forcément vocation à remplacer mes tutos. Et puis, j’ai vu que ça plaisait beaucoup, alors j’ai refait une deuxième vidéo sur le sujet, puis une troisième, et ainsi de suite, jusqu’à ce que finalement, ma chaîne ne parle presque plus que de sport et d’alimentation. »

« Une formation, ce n’est pas indispensable, mais ça reste important »

Si Sissy estime être plutôt légitime à parler d’alimentation, du fait de son parcours scolaire, elle ne cache pas non plus ne pas avoir douté de sa capacité à donner des conseils pour muscler son corps. Et ce, en dépit de toute formation spécialisée. Elle explique : « Je ne me revendique pas coach, et je ne souhaite pas le faire. Sur ma chaîne, je me contente de conseils de base. Par exemple, je ne me lancerais pas dans des séances personnalisées, je n’en aurais pas les compétences. »

A l’évocation de cet argument, Marine Leleu, qui est, elle, coach sportive depuis cinq ans (avant d’être « la fille qui poste ses marathons, triathlons et entraînements à la salle sur YouTube »), grommelle. « Je ne suis pas là pour critiquer une personne en particulier, dit-elle. Et je suis la première à penser qu’il y a beaucoup de coachs sportifs diplômés qui font n’importe quoi, et inversement, des pratiquants passionnés qui font les choses très bien. Mais je reste aussi persuadée qu’il y a toujours des connaissances qu’on n’apprendra qu’en cours, et qu’avoir une formation, ça n’est pas indispensable, certes, mais ça reste important. »

Préconiser des régimes de bodybuilders à des milliers de fans

Pour Marine Leleu, un problème se pose plus particulièrement concernant les conseils en alimentation que prodiguent certains youtubeurs. Le problème est double : d’abord, la banalisation de certaines pratiques, d’habitude réservées aux très grands sportifs. La « sèche », par exemple, un régime visant à réduire de manière conséquente la masse graisseuse de son corps. A l’origine, il est réservé aux bodybuilders désireux de faire mieux ressortir leur musculature avant une compétition. Pourtant, sur YouTube, de (très) nombreux vidéastes la conseillent.

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Justine Gallice, youtubeuse, a réalisé une vidéo à ce sujet. Elle explique avoir compris, après avoir elle-même fait la promotion de ces « sèches » pendant plusieurs mois, que ce régime très privatif n’était pas du tout adapté à ses objectifs ou à sa pratique sportive. « Si vous voulez juste perdre quelques kilos, ce n’est pas du tout la solution », confesse-t-elle.

Autre problème, certaines personnes n’ayant aucune formation de nutritionniste partagent sur leurs chaînes des « menus types » sur une journée. Or, non seulement les proportions sont souvent très faibles, mais le contenu de l’assiette pose aussi problème.

Marine Leleu, qui a souffert d’anorexie par le passé, met ainsi en garde : « Manger vegan, boire des smoothies, se nourrir de tout un tas de graines, c’est super, mais il faut faire attention, quand on a des centaines de milliers d’abonnés, à l’image que ça peut véhiculer. Les gens oublient, à force, qu’on a aussi le droit de manger des bonbons et boire du coca. Moi-même, j’en consomme plein. »

Une source de motivation

Sur les blogs et réseaux sociaux, plusieurs internautes sont de cet avis. Beaucoup critiquent notamment Georgia Horackova, une grande adepte de yoga, méditation et fitness, qui partageait ses passions sur sa chaîne jusqu’à il y a trois mois de cela. « L’intention est bonne, il y a sur sa chaîne un message fort et très optimiste, lumineux et positif, raconte par exemple une ancienne abonnée sur son blog personnel. Mais il y a aussi l’effet inverse. La frustration, les complexes, la dévalorisation de soi parce qu’on n’arrive pas à suivre son programme, son régime, ses habitudes. »

Paradoxalement, de plus en plus de youtubeurs se sont engagés dans un « combat » contre les troubles du comportement alimentaire. Alors que Sissy Mua martèle, entre deux vidéos de recettes de pâte à tartiner maison, que l’important, « c’est de se sentir bien dans son corps », Tibo in Shape, lui, réalise des vidéos sur les transformations physiques (et mentales) des anciens anorexiques et boulimiques.

Sous ces contenus, les témoignages, commentaires de soutien et remerciements affluent. Beaucoup racontent comment les youtubeurs musculation les ont aidés à s’en sortir et comment ils les motivent quotidiennement.

Sexisme ambiant

Dans ce milieu historiquement très masculin, les femmes luttent aussi plus que les hommes pour se faire une place. A écouter Sissy Mua, voir une femme donner des conseils pour développer ses biceps n’était pas nécessairement commun jusqu’à il y a quelques années. Certes, il existait des entraîneuses sportives. Mais dans les salles, Sissy se souvient surtout des « regards un peu bizarres » et des « commentaires », « pas forcément malveillants mais bon… » que lui lançaient et lancent toujours certains hommes. « Il y a eu des progrès, c’est indéniable, mais même encore aujourd’hui, 90 % des gens qui fréquentent les salles de musculation sont des hommes. »

Sur YouTube, ce sexisme n’est lui non plus jamais bien loin. Les deux comparses de la chaîne Bodytime, par exemple, tentent régulièrement de mettre en avant des femmes adeptes de la musculation. Une intention très louable, mais qui le serait davantage si les remarques du type « tu t’entraînes comme un homme » n’étaient pas légion.

Autre élément de ce sexisme ambiant, les vidéos sexy fitness motivation. Il en existe des dizaines de milliers sur YouTube, certaines atteignant les 5 millions de vues. Or, la très grande majorité ne se focalise que sur les femmes. Celles-ci apparaissent dans des postures suggestives et petites tenues. Les gros plans sur leurs fessiers et poitrines sont si nombreux que l’on peut clairement établir que la priorité, avec ces vidéos, n’est pas de voir comment réaliser un exercice physique.

Sissy Mua a participé à l’une de ces vidéos. Postée sur la chaîne de Tibo in Shape, qui surnomme les filles « des petites » et commente régulièrement la taille de leurs « meules » (comprendre, leurs seins), elle laisse cette fois-ci plus de place aux témoignages, ainsi qu’à la pratique sportive des sportives mises en avant. Interrogée sur la question, Sissy assure que les « sexy fitness motivation », ce n’est pas « quelque chose qu’elle aime ». Le faire avec Tibo in shape, son ami dans la « vraie » vie, c’était plus « pour rigoler » qu’autre chose. « Je pense qu’il a juste mis ce titre pour que ça marche bien », assure-t-elle.

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